Le Clos Saint Urbain, Le Rangen Grand Cru de Thann

Rangen Clos Saint Urbain

Le Rangen de Thann est le vignoble le plus méridional d’Alsace. Dans son livre « Où mûrit le vin d’Alsace » Henry Riegert écrit : « les vins qui mûrissent sur le coteau du Rangen comptent depuis le moyen âge parmi les crus célèbres de tout le vignoble du pays ! ».

Le Grand Cru du Rangen est situé en sortie de vallée, surplombant la rivière de la Thur, à ses pieds, et la ville de Thann.

En contemplant le paysage visible depuis le Rangen, il est possible de distinguer entre autre la magnifique collégiale Saint-Thiébault (gothique rhénan flamboyant, construite entre la fin du XIIIe et le XVe siècle), la tour des Sorcières (ancienne tour rempart du XVe siècle), le château de l’Engelbourg (Erigé à partir de 1234, dont le donjon couché est appelé ‘l’œil de la sorcière’ suite à la destruction du château peu après le traité de Westphalie en 1648), et, en sachant où regarder, la cabane des bangards (ancienne demeure des gardiens du ban viticole de Thann, maintenant située au centre de Thann, mais autrefois située au milieu du vignoble de Thann, lorsque celui ci avait atteint sa taille maximum de 500 hectares de vignes au 17ème siècle).

Grand cru rangen de thann en hiver

L’histoire du Grand Cru Rangen de Thann et ses acteurs

Le Rangen apparaît dans l’histoire vers le XIIe – XIIIe siècle. Sans conteste la vigne y fut plantée bien plus tôt, mais les premières transactions importantes de parcelles de ce vignoble datent de cette période :

  • 1272 : selon un document de l’abbaye de Murbach, l’ensemble de la colline du Rangen est plantée de vignes.
  • 1291 : le couvent des Dominicains de Bâle possède 4 scadi (16 ares) de vignes au Rangen (acte du 13 juin). Thann tirait sa notoriété de la renommée de son vin, le ‘Rangenwein’ « le plus chaud et le plus violent des vins du pays ».
  • 1292 : l’abbaye de Masmunster y possède des vignes. Le couvent St Ursitz de Einsiden, l’abbaye Cistercienne de Haute Seille en Meurthe et Moselle y sont aussi propriétaires (acte du 6 juillet).
  • 1296 : en décembre, Burchard zum Rosen de Bâle achète des vignes « in banno ville Tanne in monto diste Rangen ».
  • 1469 : l’archiduc d’Autriche offre aux envoyés de Charles le Téméraire « moult rasades du vin du Rangen » qui trouvèrent « dans le vin du Rangen, un vigoureux remontant de courage »
Chapelle Saint Urbain
Cave Zind Humbrecht

Quelques millésimes mémorables

Dès la fondation de la ville de Thann en 1161, de nombreux millésimes sont décrits par des amateurs de grands vins. Les bonnes années, les moins bonnes et aussi les plus difficiles se succèdent.

Malachias Tschamser est intarissable à leur sujet dans « La grande Chronique de Thann  » :

  • 1186 : vendanges en Août !
  • 1189 : prix des vins record du à une petite récolte
  • 1228 et 1232 : extrêmement bon, il fit si chaud en 1232 que l’on pouvait frire des œufs dans le sable !
  • 1274 : il fallu attendre, pour récolter, jusqu’en novembre.
  • 1347 : mauvaise année.
  • 1431 : une telle abondance que tous les fûts étant pleins, on se servit du vin pour faire du mortier pour la construction de la collégiale !
Le Clos St Urbain Grand cru Rangen de Thann Domaine Zind Humbrecht

Admiré dans toute l’Europe

La qualité exceptionnelle de ses vins permit au Rangen d’acquérir une grande renommée, s’étendant bien au-delà des frontières alsaciennes.

Il faut dire que la collégiale Saint Thiébaut de Thann, attirait des pèlerins venant d’Allemagne, d’Angleterre, du Danemark et des pays Scandinaves. Ces pèlerins qui trouvaient auprès du Rangen « la source miraculeuse » capable d’apaiser les pires tourments répandaient l’écho de ces vertus dans toute l’Europe. Durant toue le moyen âge, la vie des monastères était également très active (Franciscains de Thann), les moines venaient en grand nombre, priaient, mais aussi goûtaient le vin du Rangen, et le trouvant fort bon, en faisaient l’éloge de retour chez eux. Munster écrit dans sa Cosmographie de Thann en 1550: « Thann une belle ville appartient aux Seigneurs de Ferret et un Château sur la montagne de l’Engelburg et près de la ville un coteau s’appelle Rang sur lequel croît un vin délectable qui s’appelle Vin du Rangen ». Il poursuit en vantant les effets diaboliques de ce vin !

En 1628 dans le « Pantheum Hygistticum » du Dr Claudius Deodatus furent notés les meilleurs vins d’Alsace dont le Rangen de Thann.

Au temps de l’impératrice Maria Théresa (1740-1780), le vin du Rangen était bu à la cour et jouissait d’une réputation exceptionnelle. Un précepteur de la famille des princes de Lôwenberg et également introduit au palais impérial affirmait qu’il était bu plus de vin du Rangen à Vienne

que tout Thann et environ ne pouvait en produire. (Barth).

En 1648, par le traité de Munster, le roi de France Louis XIV devient seigneur direct de Thann et possède à ce titre les quelques schatz de vignes au Rangen anciennement la propriété de l’archiduc Ferdinand Charles d’Autriche.

Chanté et conté par poètes et écrivains

Le vignoble de Thann était admiré par le philosophe Michel de Montaigne. Lors de son grand voyage à travers l’Europe de 1580 à 1581, il écrivit : « Thann quatre lieues. Première ville d’Allemagne, sujette à l’empereur, très belle et grande plaine flanquées à main gauche de coteaux pleins de vignes, les plus belles et les mieux cultivées et en telle étendue que les gascons qui étaient là disaient n’en avoir jamais vu tant de suite. » Le chemin qui traverse le Rangen s’appelle depuis le Chemin de Montaigne.

Le vin du Rangen fut chanté par de nombreux poètes dont Fischart dans son Gargantua (1607) :

« Oui dans le Rangen loge Saint Rango, il prend le rang et lutte si fort jusqu’à ce qu’il roule sous le banc  » –  Ja der Wein zu Dann, des Rangenweines, das steckt der Heylig Sanct Rango, der nimmt den Rang und ringt so lang, biss er einen rant und trengt unter die Banck « .

Sébastien Brant, le célèbre strasbourgeois est à l’origine d’une légende sur les armoiries de Colmar que lui avait inspiré le Vin du Rangen tant il l’appréciait :

Hercule lors d’un voyage qu’il effectuait en Europe arriva de Xéres en Espagne, par la région de la Loire puis de Bourgogne en Alsace. Là, il voulut déguster des vins à l’auberge Zum Wilden Mann. L’aubergiste lui offrit du vin de Riquewihr qu’il trouva bon mais bien plat, il voulut un vin plus corsé. L’aubergiste lui proposa alors du vin du Rangen. Il le trouva si extraordinairement bon qu’il en bu trois bouteilles et dit:

Das ist ein Schluk, potzt Element,

Wie der in Kehl’ und Magen brennt !

Herr Wirt, Ich Sag’s auf meine Ehr,

Ich fand noch keinen Wein so Schwehr !

Puis il s’endormit dans un coin. Lorsqu’il se réveilla il partit à toutes jambes oubliant la massue qu’il avait toujours à ses cotés. Il ne vint plus jamais la rechercher tant il craignait la force du vin du Rangen. Depuis cette massue figure en bonne place dans les armoiries de Colmar.

La littérature, les odes, les chansons, les poésies au sujet du vin du Rangen foisonnent. La splendeur et la force de ce vin sublimé est chanté par de nombreux auteurs dont Barth, il nous fait une magnifique récapitulation dans son livre « Der Rebbau im Elsass ». Jamais aucune autre appellation n’a été à l’origine de tant de belles strophes.

Une réglementation exigeante

Au XVIe siècle, les vins blancs dominaient le Rangen, même si quelques vins rouges y étaient  également cultivés. On y trouve déjà les cépages tels que le Muscat et le Traminer. Les décrets de 1548 et 1581 interdisent d’ailleurs de planter des cépages non nobles tel que le « Rheinelbe » et répudiaient les trafiquants. Quiconque, thannois ou autre, enfreignait cette loi, était puni et les ceps aussitôt arrachés. (Statuts publiés dans le bulletin de la société d’histoire Belfortaine).

Il était par ailleurs formellement interdit de mélanger le vin du Rangen avec d’autres vins tout en conservant le nom de Rangen sur l’étiquette. A travers ces réglementations, très sévères pour l’époque, c’est le respect de l’identité des vins du Rangen que l’on cherchait déjà à mettre en avant.

En 1646, après le renouveau du vignoble Thannois suite à la guerre de trente ans,le magistrat de la ville de Thann désigne à nouveau les quatre Bangards (gardiens du ban) pour veiller sur la vigne et les cultures.

En 1993, l’ensemble des vignerons du Rangen adoptent une charte définissant certaines règles de culture de la vigne et de production :

Le Rangen aujourd’hui

Le Rangen a été classé Grand Cru en 1983 et a accédé au statut d’Appellation Rangen Grand Cru en 2011, avec baisse du rendement de l’appellation (maximum) à 50hl/ha en 2012.

Son terroir

Le sol de ce terroir réputé est un terrain très particulier et absolument unique en Alsace. D’âge carbonifère (Dévono-dinantien) très ancien, il est constitué par des roches volcaniques et des sédiments généralement gréseux dans lesquels les éléments volcaniques sont plus ou moins abondants. Les pierres qui le jonchent proviennent de roches dures qui sont des grauwackes, des tufs volcaniques et d’une roche de coulée qui est une andésite micatée brune. Cette couche a une épaisseur variable entre 40 et 60 cm au-dessus de la roche mère fissurée, qui permet la pénétration des racines à une profondeur plus importante et favorise un drainage naturel exceptionnel.

La nature du terrain et la profondeur du sol caractérisent un milieu maigre, pauvre en argiles mais toutefois présentes et caractérisées par une haute surface d’échange, donc favorables à une bonne préservation des minéraux. La couleur sombre du sol, une teinte brun-rougeâtre, constitue un élément favorable pour obtenir des températures de sol plus élevées.

L’exposition plein sud accroît le temps d’éclairement direct et place la vigne en situation privilégiée sur la très forte pente du Rangen (90% en moyenne) qui a imposé le choix d’un mode de culture en terrasse. Le Rangen est un terroir tardif car en altitude (350m à 450m) et ayant une pluviométrie supérieure (750mm), mais son exposition exceptionnelle permet une maturation lente des raisins en octobre et novembre où il est alors possible d’obtenir des niveaux de concentration très élevés.

La proximité du massif Vosgien, l’altitude supérieure du Rangen par rapport au reste de l’Alsace (350m à 450m) et une pluviométrie plus importante (750mm par an) en font un terroir tardif.

Le printemps est souvent plus froid et pluvieux que sur d’autres terroirs plus précoces.

En revanche l’exposition plein sud accroît le temps d’éclairement direct et place la vigne en situation privilégiée sur la très forte pente du Rangen (90% en moyenne) qui a imposé le choix d’un mode de culture en terrasse. En été, le sol du Rangen devient un four solaire, donnant aux vignes toute l’énergie de lumière tant nécessaire.

L’automne est lumineux et chaud, car, une fois les brumes matinales dispersées, le Rangen émerge en plein soleil, souvent au-dessus de l’humidité de la plaine d’Alsace. Son exposition exceptionnelle permet alors une maturation lente des raisins en octobre et novembre, où il est alors possible d’obtenir des niveaux de concentration très élevés.

Son encépagement

Le caractère tardif du Rangen en fait un terroir particulièrement favorable à l’obtention d’une grande maturité physiologique, très importante pour la maturité d’un cépage comme le Riesling. Malgré une topographie très solaire (forte pente de 90%, exposition sud, sol chaud), l’évolution des raisins est lente et les vendanges sont souvent tardives (2 à 3 semaines après l’ouverture des vendanges). Le sol chaud et bien drainant de caractère acide est particulièrement favorable au riesling et, de façon étonnante, au pinot-gris, cépage pourtant souvent plus à l’aise sur les terroirs calcaires. L’adaptation du pinot-gris au Rangen est aussi conditionné par la capacité de ce terroir à produire des rendements très faibles sans que le vigneron se doivent de réduire la quantité de raisin de façon artificielle (vendanges en vert). La pauvreté des couches superficielles et la faible teneur en matière organique des sols impose une culture plus dense (10000 pieds/ha au Rangen pour le Domaine Zind-Humbrecht). Le pinot-gris étant un cépage particulièrement sensible aux excès de production, il trouve un terroir d’exception dans le Rangen. La roche volcanique imprime une touche aromatique et une personnalité unique aux vins qui sont issus du Rangen. Aussi bien le riesling que le pinot-gris sont fortement marqués par l’empreinte du terroir. Le caractère pierre à fusil et fumé du terroir rehausse le caractère minéral du riesling et les arômes fumés du pinot-gris. Le Gewurztraminer est plus rare car à l’exception des vignes proches de la rivière ou en bas du Rangen, la plus grande partie du Rangen subit des vents froids de la vallée qui peuvent nuire à ce cépage, gênant la floraison (coulure) ou empêchant sa maturité. Malgré cela, les gewurztraminer plantés sur le Rangen sont capables d’exprimer pleinement la signature de la roche volcanique.

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